Radicassant

Radicassant

26 avril 2025 0 Par Olivier Métérie

C’est le jour J. Une journée de repos la veille pour pour éviter de faire la route au dernier moment, préparer mes affaires sereinement et m’économiser. Enfin je suis quand même allé chez Bénédicte porter quelques sacs de béton et sous-bassement de clôture… J’ai réussi à me coucher à 22h00, ce qui est plutôt exceptionnel. Il est 3h30, petit déjeuner pas trop chargé et je me rends au départ en courant pour l’échauffement. Déjà une petite gêne à la fesse droite avec le nerf qui se fait sentir. Les charges lourdes d’hier ?

Du AC/DC à l’entrée du parc des Aulnes puis à l’approche du départ, la sono crache du Nightwish, j’en ai presque mal aux oreilles. Pas sûr que ça me réveille. Autour de moi, j’ai l’impression d’avoir que des pros, bien équipés. Pourtant je pars bien sur cette course de 115 kilomètres avec eux. C’est parti au son métal et à la lumière des fumigènes. A la sortie du parc, les cracheurs de feu nous réchauffent. Première montée, est-ce que je marche direct ? Bah non, tout le monde court ! Heureusement le bouchon à l’entrée de la forêt obligé à marcher la côte du cimetière. Sur le plateau, on recourt, j’ai déjà l’impression d’être en plein effort. Descente à la Vallée et remontée en face dans une pente qui n’est pas un chemin. Je le savais mais ce début de course est bien difficile. Sur le plat, je prends mon temps pour recourir et je suis déjà dernier. Je suis peut être lent mais je ne comprendrais jamais pourquoi les gens partent aussi vite sur une course aussi dure. J’ai juste un coureur devant moi, je ne vois déjà plus les frontales au loin. A la Trinité-du-Mont, je double quand même car il n’avance pas vite. Je ne le reverrai jamais. En revenant sur Lillebonne vers le Val Infray, j’aperçois enfin quelqu’un devant. Le jour commence à se lever mais dans les bois c’est encore sombre. Descente dans le Toupin, ça glisse alors je marche. J’aperçois à nouveau quelqu’un au Platon. Je reviens sur lui, juste avant le premier ravitaillement car il marche. Le pauvre est tombé sur le dos dans la descente glissante. Il me dit que sa course va se terminer ici s’il ne trouve pas d’antidouleur.

Nous retrouvons les cracheurs de feu dans les remparts de la Fontaine Saint-Denis. J’ai retrouvé quelques coureurs que je dépasse. L’un d’eux m’indique qu’ils sont prudents sur l’allure. Il demande à son collègue si ça va passer pour la première barrière horaire. Je suis parti plus lentement qu’eux mais je ne les reverrai pas non plus. Je connais les chemins que nous empruntons mais je n’y suis plus passé depuis quelques années. Souvenir d’une sortie de plus de trente kilomètres avec les copains pour rejoindre Caudebec en décembre 2016. La plus longue jamais faite à l’époque. Je vois à nouveau du monde devant mais ils sont loin. Je sens à nouveau le nerf sciatique dans la fesse alors que j’ai fait vingt kilomètres. J’avance mais ça n’aide pas même si je ne panique pas. C’est plus plat depuis un moment alors il faut courir pour prendre autant d’avance que possible sur le temps limite. Je n’ai pas trop bu mais je m’alimente régulièrement. Je suis accueilli par les tapis violet de jacynthes des bois dans la forêt de Villequier. Ca se corse à nouveau sur le dénivelé. Je me traine pour monter les marches, ce n’est pas normal d’être autant dans le dur à ce niveau de la course. Je croise un coureur qui descend la route en contrebas. Est-ce qu’il abandonne ? Quelques minutes plus tard je passe au même endroit sans reconnaitre alors que le même bénévole m’indique qu’il faut bien descendre. Je n’ai pas tilté sur le moment que je venais de passer dans le bois au-dessus juste avant… J’essaie de ne pas aller trop vite pour préserver les jambes. A peine arrivé au pied de l’église de Villequier, il faut remonter. J’admire la paysage sur la Seine. La gêne dans le fessier est passée et ne m’embêtera plus. A la place je ressens de temps en temps une douleur dans le talon. Sans doute un petit caillou dans la chaussure. Pour l’instant je continue de courir. Le prochain ravitaillement de Caudebec-en-Caux n’est plus très loin. Mes temps de passage et les barrières horaires sont notés sur le bracelet de sécurité de l’organisation. Je suis dans les temps. Je fais le plein des flasques pour être sûr de ne pas manquer. Je suis parti avec 1,5 litres dont 50 centilitres dans le sac que j’ai eu la flemme de sortir mais j’ai eu un peu soif. Je prends de quoi grignoter et repars sans m’attarder en marchant.

J’arrive sur Sainte-Gertrude, Bénédicte qui doit m’accompagner un peu, me demande où je suis. J’essaie de lui indiquer mais je ne la vois pas. Je rentre dans le bois. Très vite encore un bon petit pétard à monter. J’ai toujours cette gène au talon. Je m’arrête retirer la chaussure et la vider. Il y a un peu de choses qui tombent. Je repars mais quelques minutes plus tard ça recommence. Ma sœur arrive en face. Une nouvelle montée raide et on court. Ca fait un peu de compagnie après quelques kilomètres sans voir personne. Une descente bien raide se profile. Je ne peux plus courir, mes quadriceps sont douloureux. C’est pas terrible alors que nous sommes qu’à mi-course. Je prends mon mal en patience, il n’y a que ça à faire. On rattrape un coureur dans la montée suivante, puis un autre. Nous revenons sur la route. Bénédicte était garée là à l’autre bout du village, ce qui explique qu’on ne se soit pas trouvé immédiatement. Je la laisse, la base de vie n’est plus très loin, six kilomètres d’après le bénévole. La distance sera la bonne mais je vais trouver ça long. Je ne cours pas très vite mais je dépasse deux autres personnes quand même. Une descente, un petit écureuil et ça remonte. La route, un hameau mais ce n’est pas encore Saint-Arnoult. Je redescends en forêt, monte un chemin le long d’un pré. A un virage, j’aperçois un coureur qui revient sur moi. Cette fois on est dans le village. Je vais pouvoir me poser un peu. Bénédicte m’accueille à la salle qui sert de ravitaillement. J’ai déjà neuf heures de course. J’avais prévu trente minutes de marge sur la barrière horaire, ce sera seulement vingt. Une bénévole se charge de remplir mes flasques, pendant que Bénédicte me donne l’alimentation pour recharger mon sac. Elle me file aussi une paire de chaussette de rechange, ma chaussette gauche est trouée sous le talon. Je n’inspecte pas mon pied. Je vide une nouvelle fois ce qui peut se trouver dans ma chaussure mais je ne prends pas la décision de changer de chaussures. Manque de lucidité ? Je tente d’avaler mon bol de soupe aux pattes aussi vite que possible car le temps presse. Pas le temps de finir, il faut repartir dans trois minutes. Je croise deux coureurs arrivés après moi, l’un d’eux me demande si je repars. Bien sûr ! Pour eux c’est la fin.

Peu après la sortie du ravitaillement, je me fais dépasser par deux coureurs qui ont dû passer plus de temps sur place et repartir à la limite. Ils avancent plus vite que moi. Je reprends le chemin qui permet de descendre à Villequier. Malheureusement j’ai toujours au mal au talon. Je retire à nouveau la chaussure et cette fois je pense à soulever la semelle de propreté. Je comprends enfin que j’ai un caillou qui est rentré dans la semelle par dessous la chaussure. Il est coincé dans la semelle et seule la pointe dépasse. Elle a transpercé, la semelle de propreté et je suppose qu’en fonction des endroits où je pose le pied, ça appuie et s’enfonce dans mon talon. J’essaie de l’enlever mais c’est impossible. Quelle galère ! Pourquoi je n’ai pas changé de chaussure. Je pense bien à la possibilité de changer de paire sur le chemin. Mais c’est interdit par le règlement de se faire aider en dehors de la base de vie. Je ne veux pas prendre le risque de me faire disqualifier. Je n’ai plus le choix maintenant, je vais devoir faire encore la moitié de la course avec. Dans le village, sur le plat en bord de Seine, je ne courre plus. Je mange ma banane. Au moins je n’aurais pas mal au talon. Je remonte en forêt et à la sortie de celle-ci je retrouve deux coureurs. Puis un troisième. Ils reviennent sur moi et un autre coureur revient avec deux filles. Ce sont nos serres-files. La dernière fois que j’ai été en dernière position, il faisait encore nuit et il n’y avait personne derrière. Cette fois c’est officiel. Je raconte mes bobos, le coureur revenu de l’arrière m’explique qu’il s’est trompé deux fois de chemin et qu’il a déjà trois ou quatre kilomètres de plus. On constitue un petit groupe, on se double et redouble mais dans l’ensemble, on marche la plupart du temps. Je retrouve Bénédicte au détour d’un chemin. Un petit coucou et on se reverra plus tard. On revient sur la licorne, assise sur un talus, qui n’a pas l’air d’aller très fort. Les serres-files plaisantent avec. Un peu plus loin, je recours un peu. Le gars qui m’accompagne regarde sur la gauche pour voir si la queue de course est loin. Je sens qu’il ne veut pas être rattrapé par la licorne ou les serres-files. Je m’éloigne mais la licorne accompagnée sur toute la course par un coureur me doublera un peu plus loin. La partie sur laquelle nous sommes est assez roulante, c’est dommage de ne pas courir plus que ça. Nous arrivons à Gravenchon, je double à nouveau quelques coureurs dont la licorne. A la sortie du bois du Parc, je reviens sur le coureur qui m’avait raconté s’être égaré. Cette partie sera la plus longue entre deux ravitaillements mais celle où j’aurais été le moins seul. Dans la forêt pour aller au Mesnil, j’ai un coureur en ligne de mire devant. Bénédicte m’attend dans la descente du Platon. Le quatrième ravitaillement est là. Dans mes prévisions, si j’arrivais jusque là, je devais commencer à avoir plus de garantie sur ma possibilité de finir car les barrières horaires s’élargissent. La course est loin d’être finie mais je commence à y croire. D’ailleurs malgré avoir marché la plupart du temps depuis la base de vie, j’ai presque une heure d’avance sur le temps limite. Je suis à nouveau dans mes prévisions. Je fais le plein des flasques et prend quelques tucs à grignoter mais je ne m’attarde pas. Certains coureurs font la sieste sur place. Je ne réfléchis pas trop, il faut que j’avance.

C’est parti pour la boucle de Tancarville. Encore un peu plus de trente kilomètres, ça devient réalisable. J’ai mal à un ongle du gros orteil, sous le talon avec ce caillou qui se rappelle à moi, aux quadriceps quand je descends mais qui ne soit rédhibitoire. Ce sera juste un peu plus long si je dois marcher. Sur le GR avant d’arriver à Saint-Nicolas-de-la-Taille, un coureur me double. Il courre mais ça me fait mal quand je vois sa démarche. Bénédicte m’attend à Tancarville. Quand j’indique sur Whatsapp que je suis au 84ème kilomètre, mes frangines pensent que je me suis trompé. Soit j’ai fait du rab, soit j’ai pris un raccourci. Je les rassure, je suis certain de ma trace. Peut-être un écart du GPS sur lequel, j’avais déjà un doute au Mesnil. Dans le village, je reviens sur quelqu’un, je l’encourage. Bénédicte m’attend, j’aimerais bien aller plus vite mais je ne peux point. Je la retrouve dans le bourg de Tancarville. Le bénévole nous indique 92ème kilomètre, j’ai donc au moins trois kilomètres de différence. Cette partie va me sembler interminable, comme souvent quand je suis en course dans le bois de Tancarville. On monte en haut du village, on descend, puis on remonte, puis on redescend. Finalement Bénédicte m’aura accompagné plus longtemps que prévu et je l’en remercie. Comme je ne courre plus, ça a du être long pour elle. Ca commence à s’assombrir, elle retourne à sa voiture. Je suis dans le fameux faux plat pour remonter sur plateau à Saint-Nicolas. La nuit tombe, le temps passe et je repense à nouveau aux barrières horaires. Comment a-t-elle pu se rapprocher à nouveau alors que j’avais presque une heure d’avance tout à l’heure ? J’entends du bruit. Ce sont les bâtons du collègue qui s’était égaré cet après-midi. Vingt kilomètres qu’on ne s’était pas vu. On échange quelques mots et il poursuit. Il marche comme moi mais bien plus vite. Un autre coureur arrive derrière avec ses bâtons aussi. Nous sommes au dernier ravitaillement. J’ai moins bu mais je refais le plein des flasques pour ne pas prendre de risque. Cette fois je prends le temps de m’assoir pour boire ma soupe. Ma montre indique 96 kilomètres, officiellement il doit rester 15 kilomètres à faire en trois heures. J’ai perdu trente minutes sur mes prévisions mais même en marchant ça devrait être faisable. Le coureur arrivé juste après moi, vomi ses tripes à l’extérieur de la tente. Ca va être compliqué pour lui. Un autre arrive et semble assez frais. C’est celui qui accompagnait la licorne. Elle a malheureusement abandonné.

J’ai ressorti la frontale. Il fait bien plus frais aussi. Je recroise un bénévole qui gardait un carrefour à Sainte-Gertrude, quelle journée pour lui ! J’entame le descente en forêt, mes deux compères à bâtons reviennent sur moi. Ils ont un meilleur rythme. Je suis surpris que celui qui s’est vidé au ravitaillement ait pu repartir aussi vite. A la sortie du bois, un coureur me double en courant en légère montée dans la caillasse. C’est celui qui accompagnait la licorne. En fait il commence sa course. Ma lumière éclaire une affiche qui rappelle la bière à l’arrivée. Je ne sais pas si j’en aurais envie mais la fin se rapproche. Je n’y pas fait attention à la montre mais en tout cas, pour la première fois de ma vie, j’ai dépassé les cent kilomètres à pied. Mon téléphone vibre. La famille me demande où je suis puis de prévenir quand je serai à l’Abbaye. Je suis aux Forges, il y a du monde derrière moi. Je comprends que ce sont les serres files. Petite déception dans ma tête. Ca fait des heures qu’on ne s’est pas vu et là je suis à nouveau dernier. Elles ont fait un sacré parcours puisqu’elles sont sur les chemins depuis la mi-course. Pour elles tout va bien, l’allure n’est pas trop rapide, même peut-être pas assez puisqu’elles sont souvent devant moi. Avec le recul, j’aurais dû en profiter pour poser quelques questions à ces athlètes expérimentées. La descente du chemin de Fécamp est un peu douloureuse avec mes cuisses en feu. Une petite glissage, mon ange gardien me demande si ça va. C’est bon je me suis rattrapé. Nous sommes à l’Abbaye. J’envoie un petit message pour prévenir. Arrive le dernier pétard. Ca glisse, je n’arrive pas à monter. Je me salis les mains. Je finis par trouver un petit bâton pour m’agripper. Les filles m’attendent là-haut. J’entends le speaker, c’est pas encore l’arrivée mais ça se rapproche. On redescend par le chemin de Juliette et passe les étangs. Les parents sont là. Mon père me demande si j’avais pas sous-estimé la difficulté. Bah non. J’avais bien envisagé d’être dernier, voire de ne pas finir. Les filles m’encourage en me prédisant les honneurs du dernier de la course, avec l’accueil par les bénévoles. Je me projette et ça me va. Mais avant d’arriver au Val Horrible, le plan tombe à l’eau. J’aperçois des frontales. Je ne pensais pas que ce soit possible. Même en marchant j’ai sans doute accéléré l’allure avec mes deux lièvres. Je reviens sur mes deux compères. Désormais on va rester ensemble. Dernière montée vers les Hauts-Champs. Je regarde la montre, maintenant c’est sûr, on va finir dans les temps. Après le stade, on entend encore la sono de l’arrivée. La dernière descente, je marche sur des oeufs. L’une des serre-files le remarque, ça fait un moment que j’ai mal aux quadris ! Je discute avec le coureur qui était malade tout à l’heure. Il était mal depuis le 80ème mais ça va mieux. Apparemment ça lui fait souvent ça et il ne comprend pas. Il a en tout cas de l’expérience pour avoir déjà terminé deux fois cette course. Même s’il me répond le contraire, je lui dis que j’aurais eu du mal à terminer les éditions précédentes qui étaient plus longues de dix kilomètres. Nous arrivons au parc des Aulnes, Plus de son, sans doute l’heure trop tardive pour le voisinage. Nous nous concertons pour courir ces derniers mètres. Comme attendu, nous sommes accueillis par les bénévoles et les fumigènes. Nous l’avons fait, nous sommes finishers ! On se congratule, on remercie les serres-files et on se prend en photos.

Je bois quand même ma bière (la moitié) et j’ai l’estomac assez disposé pour manger. Il est une heure passée, les parents vont devoir patienter encore un peu. C’est compliqué pour rentrer la voiture. J’ai mal partout. Une bonne douche avant de se coucher, je désinfecte aussi ma plaie au talon. J’ai réussi à finir avec ce caillou dans la chaussure mais il m’a laissé un trou dans la peau. Je me couche mais je n’arrive pas à dormir. Je ne parviens pas à trouver une position confortable où j’aurais moins mal. Je pense un peu à cette journée mais je suis crevé et je veux juste dormir. On passe rarement une bonne nuit après un ultra.